Sortir du ré-agir pour aller vers l'agir

pottery libreN'a t-on pas trop souvent tendance à partir du corps comme problème, comme si le corps n'exprimait les potentialités humaines qu'à partir de la souffrance ou de l'injonction d'efficacité maximale? Mais le corps n'exprime-t-il pas les difficultés à être, et bien souvent n'est-ce pas un déficit de vie et de mouvement qui empêchent les énergies et les pensées de circuler?

Chaque jour nous sommes soumis à quantité de stimuli auxquels nous répondons de façon automatique, sans y penser. C'est pour cela que s'installent parfois des habitudes qui viennent perturber notre bon fonctionnement et entraîner des douleurs et des tensions qui nuisent à la précision et à l'harmonie de nos gestes, au quotidien comme dans la vie professionnelle, dans la pratique d'un sport ou d'un art.

En transformant peu à peu notre manière de nous utiliser, notre corps et notre pensée s'affinent et s'ajustent, nos mouvements se font plus fluides, plus précis, plus lisibles aussi. Le geste alors devient véritablement l'expression de soi et non plus une forme apprise et reproduite.

Généralement, nos manières de pratiquer toute forme d'activité révèlent une tendance à aller’’droit au but’’. Ce sont les résultats qui comptent, pense t-on, sans apprécier combien les moyens adéquats pour réaliser tel ou tel geste sont déterminants. Nous oublions de mettre en résonance le comment et le pourquoi! On en fait trop, ou pas au bon moment.

Alexander a mis le focus sur la faculté d'inhibition, le terme n'ayant pas le sens freudien, mais signifiant la capacité de marquer un temps d'arrêt, une suspension, avant d'opérer le geste, pour mettre en place toutes les conditions requises pour sa bonne exécution. Au lieu de se précipiter sur mon téléphone quand il sonne, je peux décider de différer ma réponse si je sens par exemple que j'ai raidi ma nuque, défaire cette tension pour permettre à mon dos de s'allonger, ce qui libère les jambes, et me permet d'aller répondre au téléphone sans précipitation et sans risque de chute ou de maladresse.

Les automatismes qui organisent nos mouvements, qu'ils relèvent du déplacement dans l'espace, du mouvement émotionnel ou de la pensée, s'inscrivent en nous et laissent des traces qui peuvent nous perturber lorsqu'elles ne sont pas cohérentes avec la situation présente.

F.M. Alexander a mis en exergue un moyen pour choisir de se défaire ou plutôt de n'être plus dépendant de cette mémoire. La Technique Alexander nous permet de n'être plus soumis à ces souvenirs qui nous conditionnent. Ce n'est pas renier le passé et les souvenirs, mais c'est choisir de ne pas réagir en fonction d'eux de façon non consciente. C'est les intégrer afin qu'ils restent à leur place, sans influencer à notre insu nos prises de décisions et nos actions.

C'est sortir du ré-agir pour aller vers l'agir, au jour le jour, dans un présent entre un passé et un avenir. « Mon corps prend possession du temps, il fait exister un passé et un avenir pour un présent, il n’est pas une chose, il fait le temps au lieu de le subir.1 » Bien vivre sa vie c'est se laisser être, dans un simple geste, une simple émotion qui révèle l'immensité qui nous entoure.

 

 

1Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception [1976], Mesnil-sur-l’Estrée,Gallimard, p277.
 
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