« Le corps est l’ensemble des gestes à travers lesquels la personne se réalise ou se manque.“ K.G.Dürckheim

quotidienLe réveil sonne, il est 7h ce matin. Quelques secondes pour reprendre mes esprits, et le planning de la journée envahit mes pensées. Machinalement, je mets la cafetière et la bouilloire en route, en pensant à la réunion qui démarre la journée de travail. L'ai-je bien préparée, est-ce que je connais suffisamment le sujet du jour? Tout en y pensant je mets quelques tranches de pain dans le grille- pain. J'ai pris des notes pour synthétiser ce que j'ai à dire à la réunion ; est-ce que je les relis avant de partir? Mon compagnon se lève et me demande si je n'ai pas oublié que je dois aller chercher les enfants à l'école ce soir. Mince! De la fumée sort du grille-pain, quelqu'un l'a déréglé. Les tartines sont carbonisées. Je mets un sachet de thé dans ma tasse et verse l'eau bouillante, tout en installant le lait et les céréales pour les enfants sur la table. Et zut! Je me rends compte que ce soir, j'ai un contretemps ; un collègue m'a demandé de l'aider à résoudre un problème et j'ai accepté. Je vais encore devoir demander à mon compagnon d'aller récupérer les enfants. Je croque une bouchée dans la tartine carbonisée, bois une gorgée de thé à la va-vite et me brûle le palais.

Une superbe expérience lors de laquelle un corps sans directions génère mauvaises coordinations et mauvais ajustements. Comment en serait-il autrement quand on néglige de prendre le temps de laisser des intentions claires organiser la succession de nos gestes? Car c'est de la clarté du corps que naissent des intentions dans lesquelles l'attention peut se poser. A l'inverse, on voit bien comment faute d'avoir pris ce temps de revenir au présent, l'attention divague, y compris dans la définition d'intentions précises. Le chaos gestuel fait échos au KO corporel.

Pourquoi n'ai-je pas réglé le grille-pain avant de m'en servir? Pourquoi n'ai-je pas prévenu mon compagnon plus tôt, et pourquoi je ne prends jamais le temps de boire mon thé le matin? Ces tristes habitudes de vivre sont les moules dans lesquels nous agissons dans l'obscurité à nous-même. Et, hélas, nous y sommes "chez nous", nous y sentant dans le faux confort du connu. Mais ces habitudes ne sont-elles pas qu'un écran à ce que nous pourrions devenir?

Chacun de nos gestes est nécessairement sous-tendu par une intention. Bien sûr, nous n'avons pas à penser à nos intentions, ce serait invivable! Nous pouvons, par contre, quand ''ça ne va pas'', quand nos gestes se décoordonnent, prendre ce temps de clarifier la visée de ce que l'on fait, s'assurer que plusieurs buts ne se chevauchent pas, que l'attention est bien en lien avec l'intention.

Lorsque je me sers une tasse de thé, j'ai le choix de penser à ce qui m'attend pour le reste de la journée ou de revenir au présent de boire mon thé. Ces deux situations expriment deux intentions différentes qui ont un impact direct sur la direction de mon attention et sur la manière dont je vais boire mon thé.

F.M. Alexander s'est appuyé sur un principe fort du fonctionnement de notre cerveau pour développer ses recherches. Ce principe est celui de l'inhibition ; il permet de sortir des habitudes, de ne pas réagir aux injonctions qui nous assaillent, mais bien de choisir notre intention et l'orientation de notre attention. En utilisant la faculté d'inhiber, je prends mon temps, j'ouvre un espace pour préciser mon intention.

Revenons en arrière! Le réveil sonne. Je me sens engourdie et lasse. Je prends le temps avant de me lever de laisser flotter mes pensées, de laisser la lumière me pénétrer. Une fois debout, je laisse mon regard se tourner vers les murs, leur couleur lilas familière me parvient. Je sens mes appuis changer, ma colonne s'allonger ; en retour, ma pensée s'éveille. Les activités de la journée à venir m'envahissent. Je m'en détourne et reviens à ma marche, à ma main qui glisse sur le bois de la rampe d'escalier. Arrivée dans la cuisine, ma main trouve la poignée souple de la bouilloire ; je la dirige sous le robinet en un geste large et précis. Le bruit de l'eau qui tourne contre ses parois résonne dans mes oreilles. Maintenant, m'occuper du pain à griller. La réunion que je vais animer vient à mes pensées ; je m'en détourne et la laisse glisser hors de moi. Je saisis le grille-pain et constate que le curseur du thermostat a été déplacé. Heureusement que je l'ai vu, sans quoi mon pain aurait été carbonisé!

Suivant le cheminement de cette personne qui a pris le temps de s'orienter pour faire émerger des intentions claires, puis des actes coordonnés grâce à sa présence et à la qualité de son écoute dans leur réalisation, libre à vous d'inventer la suite......

 

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